\ LA RESPONSABILITÉ DE L’ACTIONNAIRE EN CAS DE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE DES SALARIES D’UNE FILIALE
« QUI EST MON EMPLOYEUR ? » CETTE QUESTION, SIMPLE A PRIORI, SUSCITE DE NOMBREUSES INTERROGATIONS DE LA PART DES SALARIES, A L’HEURE OU CERTAINES DÉCISIONS, SUSCEPTIBLES DE LES IMPACTER DIRECTEMENT, NE SONT PAS PRISES AU NIVEAU DE LA SOCIÉTÉ QUI LES EMPLOIE.
Le 24 mai 2018, la Cour de cassation a confirmé à l’occasion de trois décisions, le mouvement de balancier qu’elle avait initié en 2014 concernant la responsabilité sociale de l’actionnaire en cas de déconfiture de ses filiales. Tout en limitant la reconnaissance du co-emploi entre filiale et société dominante du groupe, elle confirme que les salariés peuvent engager la responsabilité de cette dernière sur le terrain délictuel.
« Qui est mon employeur ? » Cette question, simple a priori, suscite de nombreuses interrogations de la part des salariés, à l’heure où certaines décisions, susceptibles de les impacter directement, ne sont pas prises au niveau de la société qui les emploie. La réponse à cette question peut alors varier selon les domaines concernés. C’est pourquoi législateur et magistrats tentent en permanence d’adapter loi et jurisprudence aux évolutions du droit des affaires, et à la néces¬saire influence, voire ingérence, de la société dominante d’un groupe dans la gestion de ses filiales.
Plusieurs dispositifs ont ainsi vu le jour pour faire émerger le rôle véritable du groupe, en particulier de sa société dominante ou de son actionnaire principal. Le législateur favorise depuis plusieurs années la négociation de groupe tandis que la Cour de cassation admet de manière désormais constante que le dirigeant d’une société mère a la possibilité de mener une procédure de licenciement à l’encontre d’un salarié d’une filiale.
Dans le même temps, certaines obligations s’imposent en fonction non plus de l’effectif de la société employeur, mais du groupe auquel elle appartient. Et en matière de restructuration, le respect de la procédure mise en œuvre est, à bien des égards, apprécié au niveau du groupe (appréciation du motif de licenciement, du respect de l’obligation de reclassement ou encore des moyens mis en œuvre dans le cadre d’un plan de sauve-garde de l’emploi).
Dans ce contexte, se pose la légitime question de la responsabilité du groupe, et plus précisément de sa société dominante, en cas de décision préjudiciable à l’une des filiales, dont pâtiraient directement ses salariés. En l’absence de mécanisme juridique expressément prévu par le Code du travail, il est revenu aux juges du fond, puis à la Cour de cassation, de définir les contours d’une telle responsabilité.
Dans un premier temps, c’est la notion de co-emploi que la Cour de cassation a privilégiée. Les incertitudes entourant cette notion, comme les abus qui ont pu en résulter (se traduisant par une demande de reconnaissance quasi-systématique de co-emploi de la part des salariés en cas de licenciement économique) l’ont toutefois incitée à faire évoluer sa jurisprudence. Les trois décisions du 24 mai 2018 sont l’illustration la plus récente et la plus aboutie de cette évolution : tout en confirmant sa définition désormais restrictive du co-emploi (1), la Cour de cassation confirme qu’elle ouvre aux salariés la voie de la responsabilité délictuelle de la société dominante du groupe, qu’il s’agisse de la société mère de la filiale concernée ou de toute autre société, en cas de comportement fautif (2.).
Cass. Soc. 24 mai 2018, n°17-15630