NOTA BENE #23 \ DÉNONCIATION D’UN ENGAGEMENT UNILATÉRAL : « LA PATIENCE MÈNE À BIEN, LA PRÉCIPITATION À RIEN »
LE RESPECT D’UN DÉLAI DE PRÉVENANCE INSUFFISANT N’A PAS POUR CONSÉQUENCE DE REPOUSSER LA PRISE D’EFFET DE LA DÉNONCIATION D’UN ENGAGEMENT UNILATÉRAL À UNE DATE ULTÉRIEURE MAIS DE LA RENDRE INOPPOSABLE AUX SALARIÉS.
C’est ce proverbe turc que la haute juridiction vient, en substance, de rappeler à un employeur désireux de dénoncer rapidement (trop rapidement) une prime instituée par voie d’engagement unilatéral.
Pour mémoire, l’engagement unilatéral peut être dénoncé par l’employeur en respectant trois conditions cumulatives :
\ informer les institutions représentatives du personnel,
\ informer individuellement chaque salarié concerné,
\ respecter un délai de prévenance suffisant.
Le délai de prévenance que l’employeur est tenu d’observer a pour objet de permettre l’engagement d’éventuelles négociations portant sur l’avantage ayant vocation à disparaitre.
Pour autant, la loi ne fixe aucun délai de prévenance précis, celui-ci devant être « suffisant » ou « raisonnable ».
Ainsi, en cas de litige sur ce point, il appartient au juge de déterminer, dans chaque cas d’espèce, si le délai fixé par l’employeur est ou non suffisant pour permettre l’ouverture d’éventuelles négociations.
S’il est jugé insuffisant, la dénonciation est déclarée inopposable aux salariés qui pourront donc continuer à se prévaloir de l’avantage concerné.
Pour y mettre fin, l’employeur doit en principe effectuer une nouvelle dénonciation régulière.
Néanmoins, la Cour de cassation avait admis par un arrêt ancien qu’une dénonciation irrégulière produise tout de même effet à l’expiration d’un délai fixé souverainement par le juge (Cass. soc. 16-3-1989 n° 85-45.934).
Par un arrêt du 4 décembre 2019 (Cass. Soc. 4-12-2019 n° 18-20.763), la Cour de cassation semble revenir sur cette possibilité.
En l’espèce, une société met en place, par engagement unilatéral du 4 décembre 2008, le versement d’une prime au bénéfice des salariés travaillant la nuit. L’employeur procède à la dénonciation de cet engagement en informant le Comité d’entreprise le 24 octobre 2013 de la cessation du versement de ces primes à effet du 1er décembre 2013. Elle informe ensuite chaque salarié individuellement le 5 novembre 2013.
Estimant que l’employeur n’avait pas respecté un délai de prévenance suffisant, plusieurs salariés réclament le maintien du versement de leur prime de nuit.
La Cour d’appel, qui relève l’insuffisance du délai de prévenance, déboute les salariés de leur demande en retenant que ce délai trop court ne rend pas la dénonciation inopposable aux salariés concernés mais a pour conséquence de repousser la date d’effet de la dénonciation qui est fixée au 1er janvier 2014.
A tort, selon la Cour de cassation qui considère que le juge doit conclure à l’inopposabilité de la dénonciation d’un engagement unilatéral lorsqu’il constate que l’employeur n’a pas respecté un délai de prévenance suffisant.
A vouloir dénoncer trop rapidement la prime versée aux travailleurs de nuit, l’employeur est finalement condamné à la verser pendant plusieurs années. En ce cas comme dans bien d’autres, « on se retarde par trop de précipitation ».