NOTA BENE #25 \ CORONAVIRUS, PNEUMOCOQUE, GRIPPE : FACE AU RISQUE D’ÉPIDÉMIE, COMMENT L’ENTREPRISE DOIT-ELLE SE PRÉPARER?
L’OMS A DÉCLARÉ QUE LE CORONAVIRUS : « CONSTITUE UNE TRÈS GRAVE MENACE POUR LE RESTE DU MONDE… »
152 SALARIES D’UN CHANTIER DE RÉPARATION NAVALE A MARSEILLE ONT EXERCE LEUR DROIT DE RETRAIT EN RAISON DE LA MONTÉE EN PUISSANCE DES INFECTIONS AU PNEUMOCOQUE …
EN FRANCE, LA GRIPPE SAISONNIÈRE EST RESPONSABLE DE 2 A 12 MILLIONS DE JOURNÉES D’ABSENTÉISME CHAQUE ANNÉE SELON L’INTENSITÉ DU PHÉNOMÈNE.
FACE AU RISQUE D’ÉPIDÉMIE , QUE DOIT FAIRE L’EMPLOYEUR POUR PROTÉGER A LA FOIS SES SALARIES ET L’ACTIVITÉ DE L’ENTREPRISE ?
Cadre d’action – obligations générales de l’employeur
L’employeur est tenu à une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés. Pour les juges, cette obligation impose à l’employeur de prévenir tous risques professionnels (cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444).
Lorsque le risque est exclusivement ou principalement environnemental, l’obligation de sécurité est une obligation de moyens [1].
L’employeur doit donc prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Aux termes de l’article L.4121-1 du code du travail, ces mesures comprennent :
\ des actions de prévention des risques professionnels ;
\ des actions d’information et de formation ;
\ la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Au-delà de ces obligations à la charge de l’employeur, le salarié doit, lui aussi, veiller à prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail [2].
Mesures collectives – prendre des mesures de nature à endiguer la propagation de l’épidémie
La survenue d’une épidémie peut avoir un impact négatif sur l’activité de l’entreprise (augmentation des arrêts de travail, difficultés d’approvisionnement, exercice du droit de retrait par les salariés etc..). Outre la protection des salariés, anticiper ce risque permet également d’en limiter l’impact sur l’organisation de l’entreprise voire sa situation économique.
À cette fin, l’employeur dispose de plusieurs leviers :
\ adapter le document unique d’évaluation des risques à la situation particulière de l’épidémie ;
\ établir ou s’en référer le cas échéant à un plan de continuité de l’activité (« PCA »). Ce PCA définit les principales conséquences d’une crise, selon divers scénarios (épidémie entre autre), sur l’entreprise pour déterminer les services/missions essentiels à l’entreprise et qui doivent être assurés en toute circonstance ;
\ élaborer des mesures de nature à freiner la contagion (limitation de l’accès aux locaux pour les personnes extérieures, entretien et nettoyage, rappel des consignes d’hygiène, etc..) ;
\ mettre en œuvre des mesures préparatoires (campagne de vaccination, campagne d’affichage, appel à la sensibilisation, etc…) ;
\ se doter des équipements individuels adéquats pour protéger la santé des salariés (masques, solutions hydroalcooliques, etc…).
L’employeur peut-il imposer ces mesures ? Hormis la vaccination, oui.
Concernant la vaccination, l’employeur ne peut pas l’exiger. Le refus d’être vacciné ne peut d’ailleurs pas justifier l’éviction du poste sauf en cas de risque caractérisé particulièrement grave ou lorsque la réglementation applicable à l’entreprise impose cette vaccination (cass. soc., 11 juillet 2012, n° 10-27.888).
Le recours au télétravail est envisageable lors de « menaces d’épidémie [3]» sous réserve que les salariés aient le matériel adéquat. Il constitue alors un aménagement de poste rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés.
Mesures individuelles – cibler les salariés exposés au risque d’épidémie en particulier lorsqu’ils sont hors du territoire national.
Les épidémies (coronavirus notamment) étant cantonnées à des « zones à risques », le plus fréquemment hors du territoire français, la protection de la santé physique et mentale des travailleurs se manifeste principalement par des mesures individuelles pour les salariés en mission dans ces zones. Pour ces salariés, deux situations sont à distinguer selon qu’ils sont déjà présents sur les zones d’épidémie ou en partance pour ces zones.
I. Dans le premier cas, la possible exposition des salariés au virus présent dans les zones à risques impose à l’employeur de prendre toute mesure de nature à faire cesser l’exposition à ce risque.
En pratique, cela oblige l’employeur à organiser le retrait des salariés concernés de la zone exposée.
Si la solution apparait logique, sa mise en œuvre peut soulever quelques difficultés lorsque le salarié est à l’étranger. L’employeur peut-il imposer ce rapatriement ?
Tout dépend des conditions dans lesquelles le salarié est parti en mission. Si la mission a été contractualisée (expatriation – contrat local ; avenant de détachement temporaire notamment), rien ne peut contraindre le salarié à répondre favorablement à l’offre de rapatriement de son employeur, sauf si une clause du contrat le prévoit. Son lieu de travail ayant été contractualisé, tout changement de lieu de travail nécessite son accord. A l’inverse, si le salarié est en déplacement au sein d’une zone à risque, il ne peut pas s’opposer à la décision de l’employeur.
II. Dans le second cas, pour les salariés en partance pour les zones à risques, il semble relever de l’obligation de prévention de l’employeur de suspendre tout départ vers ces zones. Quand « tout déplacement à Wuhan et dans toute la province de Hubei est formellement déconseillé » par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères [4] , il est délicat d’y envoyer des salariés en mission.
À défaut, un salarié est-il en droit de refuser de se rendre dans ces zones à risques ? Aux termes de l’article L. 4131-1 du code du travail, le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé et peut « se retirer d’une telle situation ». Dans ce contexte, le salarié est à notre sens en droit d’exercer son droit de retrait. Il ne peut alors faire l’objet d’aucune sanction ni retenue sur salaire [6].
Limites – comment organiser le retour du salarié exposé dans l’entreprise ?
Pour les salariés revenant de ces « zones à risques » ou présentant des symptômes, l’employeur est-il en droit de prendre des mesures « coercitives » à leur égard ? Si la question se pose légitimement, il n’y a pourtant pas de réponse évidente. L’employeur est tenu de ne pas prendre de mesures en raison de l’état de santé d’un salarié sous peine de discrimination [7]. La gestion d’un salarié présentant des symptômes pose alors difficulté.
À notre sens, l’employeur a deux possibilités.
Il peut envisager le recours au télétravail pendant une période suffisante pour limiter le risque de contagion au sein de l’entreprise. En cas de « menace d’épidémie », cette mesure peut être imposée. En revanche, lorsque l’épidémie est essentiellement hors territoire, est-ce suffisant à qualifier une « menace d’épidémie » ? Par exemple, pour le coronavirus, alors que seulement 11 cas ont été identifiés sur le territoire français, la question se pose. Dans le doute, il est nécessaire d’obtenir l’accord du salarié.
Si le salarié présentant des symptômes refuse le télétravail, ou si son poste est incompatible avec cette situation, l’employeur a également la possibilité de placer les salariés concernés en dispense d’activité rémunérée. Il ne peut en revanche pas l’imposer puisqu’il a l’« obligation contractuelle de lui fournir une prestation de travail suffisante » (cass. soc., 9 juin 2015, n° 13-26.834).
À défaut de solution consensuelle permettant d’éloigner temporairement le salarié de la collectivité de travail, il n’est pas à exclure que les autres salariés de l’entreprise exercent leur droit de retrait en raison du risque de contagion.
Dans ce cas, solliciter (en urgence) les préconisations du médecin du travail sur l’aménagement des conditions de travail – voire solliciter son avis sur l’aptitude du salarié concerné – pourra s’avérer utile voire nécessaire.
La difficulté disparaitra en tout état de cause si le salarié est placé en arrêt maladie ou en quarantaine, période ouvrant droit au paiement d’indemnités journalières de sécurité sociale (spécialement pour le cas du coronavirus) aux termes du décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020.
À son retour, il est recommandé de solliciter l’accompagnement du médecin du travail même si l’absence a duré moins de 30 jours.
[1] Article 4-1 de la circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009
[2] Article L. 4122-1 du code du travail
[3] Article L.1222-11 du code du travail
[4] www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays-destination/chine/
[5] Article L. 4131-3 du code du travail
[6] Article L. 1132-1 du code du travail