NOTA BENE #38 \ La clause de mobilité en cas de fermeture d’un site, rempart contre une procédure de licenciements collectifs pour motif économique ?
Le refus par un salarié de la mise en œuvre d’une clause de mobilité contractuelle constitue un motif personnel de licenciement, peu important que l’application d’une telle clause trouve son origine dans la fermeture du magasin auquel est affecté le salarié.
« Rendez vous compte, il a été licencié pour faute alors que le magasin dans lequel il travaillait vient de fermer ! »
Cette affirmation indignée, qui pourrait faire l’accroche d’un reportage polémique ou l’entame d’une plaidoirie d’un défenseur syndical, a de quoi surprendre, tant l’hypothèse de la fermeture d’un site semble nécessairement devoir déboucher sur des licenciements économiques.
Dans un arrêt du 19 janvier dernier, la Cour de cassation met à mal ce réflexe intellectuel quasi pavlovien et peaufine sa jurisprudence relative à la mise en œuvre de clauses de mobilité par un employeur lorsqu’il est amené à fermer un site ou, dans le secteur de la distribution, des points de vente.
En l’espèce, une enseigne de la distribution décide de procéder à des modifications d’implantation de certains de ses magasins. Les salariés des boutiques fermées se voient notifier de nouvelles affectations en application de la clause de mobilité prévue par leur contrat de travail. Les salariés ayant refusé ces nouvelles affectations se voient licenciés pour motif disciplinaire.
C’est dans ce contexte qu’un syndicat saisit le Juge pour voir enjoindre à la société d’ouvrir des négociations sur la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Le principal argument soulevé par le syndicat tient au nombre de fermetures de boutiques et au nombre de licenciements intervenus suite aux refus de changement d’affectation par les salariés. Selon le syndicat, les licenciements intervenus ont en réalité une cause économique et l’entreprise aurait dû mettre en place une procédure de licenciements collectifs pour motif économique assortie d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
L’enjeu de la discussion juridique était de taille puisque de deux choses l’une :
- Soit la mise en œuvre des clauses de mobilité par l’employeur dans le cadre de la fermeture des magasins est jugée régulière, les salariés ont alors commis une faute en refusant de poursuivre l’exécution de leur contrat, et ils peuvent valablement être licenciés pour un motif disciplinaire.
- Soit la mise en œuvre des clauses de mobilité est jugée irrégulière, parce que les clauses ne sont pas valables et / ou parce que leur mise en œuvre est irrégulière, et l’employeur aurait dû, s’agissant de modifications de contrat de travail qu’il ne pouvait imposer aux salariés, procéder à leur licenciement économique.
Les juges du fond rejettent la demande et les arguments du syndicat. Ils relèvent qu’il n’était pas démontré que les clauses de mobilité avaient été mises en œuvre de mauvaise foi ou pour faire face à des difficultés économiques l’ayant conduite à fermer des boutiques. Ils en déduisent que les licenciements faisant suite aux refus de changement d’affectation constituaient des licenciements pour motif personnel et non des licenciements économiques.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le syndicat contre la décision des juges du fond.
La Cour de cassation retient que le refus par un salarié de la mise en œuvre d’une clause de mobilité contractuelle constitue un motif personnel de licenciement, peu important que l’application d’une telle clause trouve son origine dans la fermeture du magasin auquel est affecté le salarié.
Cette précision est la bienvenue et par cet arrêt, la Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle autour de la clause de mobilité mise en œuvre dans un contexte de fermeture de site.
Dans un arrêt du 7 février 2018, elle avait admis le licenciement d’un salarié motivé par son refus de changement d’affectation, décidé en application d’une clause de mobilité que l’employeur avait été contraint de mettre en œuvre suite à la perte du marché du site sur lequel le salarié était affecté (Soc., 7 février 2018, n°16-12.082).
En revanche, dans un arrêt récent du 29 septembre 2021, la Cour de Cassation avait refusé de retenir la qualification de licenciement pour motif personnel dans une hypothèse où un salarié avait refusé d’être affecté sur un autre site en application de sa clause de mobilité, après avoir constaté que l’établissement d’origine du salarié faisait l’objet d’une cessation d’activité engendrant la suppression de tous les postes. La mise en œuvre d’une clause de mobilité concomitante à un PSE n’était dans ce cas pas possible. (Cass.soc., 29 septembre 2021, n°20-14629).
Dans les faits, le praticien devra toutefois se montrer vigilant, en vérifiant :
- que la clause de mobilité insérée dans les contrats de travail est valable, les exigences posées par la jurisprudence étant de ce point de vue assez strictes.
- que sa mise en œuvre n’emporte pas la modification d’un élément essentiel du contrat de travail autre que le lieu de travail. En effet, un salarié peut refuser sa nouvelle affectation si cette dernière engendre un bouleversement de ses horaires de travail (Cass.soc., 14 octobre 2008, n°07-40092) ou s’accompagne de la modification de sa rémunération y compris variable (Cass.soc., 15 décembre 2004, n°02-44714).
Dans tous les cas, on ne peut que se féliciter de cette décision qui, au terme d’un raisonnement rigoureux, donne à la clause de mobilité son plein effet utile et déjoue l’équation trop simpliste selon laquelle le licenciement d’un salarié faisant suite à la fermeture du site auquel il est affecté est nécessairement de nature économique.