NOTA BENE #41 \ Inaptitude assortie d’une dispense expresse de recherche de reclassement : la fin d’un suspense…
Dans un arrêt du 8 juin 2022, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation tranche pour la première fois une question qui était en suspens depuis la réforme de la procédure d’inaptitude issue de la loi « El Khomri » (loi nᵒ 2016-1088 du 8 août 2016).
L’obligation de recherche de reclassement est le principe en cas d’inaptitude du salarié à son poste de travail. Le code du travail impose une consultation du CSE sur le reclassement du salarié, quelle que soit l’origine de l’inaptitude (professionnelle ou non : articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du code du travail), étant précisé que cette compétence était auparavant dévolue aux délégués du personnel.
L’employeur peut le cas échéant être « dispensé » de recherche de reclassement en présence d’une mention expresse dans l’avis du médecin du travail ainsi formulée : « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi» (art. L. 1226-2-1, L. 1226-12 et R. 4624-42 du code du travail).
L’avis du CSE doit-il être recueilli en présence d’une dispense de recherche de reclassement ?
Tant la lettre que l’esprit des articles L. 1226-2 et 1226-10 du code du travail militent en faveur d’une réponse négative. En effet, le texte indique que « Cette proposition (i.e. la proposition de reclassement) prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. ». Cette formulation induit, a contrario, qu’en l’absence de proposition de reclassement la consultation n’a pas lieu d’être (d’autant qu’elle serait au demeurant sans objet).
La Cour de Cassation avait eu l’occasion de statuer en ce sens antérieurement à la création par le code du travail du cas de dispense de recherche de reclassement, à propos d’une affaire dans laquelle l’employeur n’avait aucune proposition de reclassement à formuler (Cass. Soc. Cass. Soc. 5 octobre 2015, n° 15-16.782 : « Attendu, ensuite, que si les dispositions de l’article L. 1226-10 du code du travail exigent que l’avis des délégués du personnel intervienne avant la proposition de reclassement, une telle exigence ne résulte, en l’absence de proposition de reclassement, ni de ce texte, ni de l’article L. 1226-12 du même code »).
En outre, le modèle type de lettre de licenciement pour inaptitude établi par le décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017 est distinct selon que l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail comporte ou non la mention expresse : la référence à la consultation du CSE n’y figure qu’en l’absence de dispense de recherche de reclassement.
Dès l’entrée en vigueur de la loi « El Khomri », il semblait donc possible de considérer que la consultation des délégués du personnel (ou du CSE depuis son institution) n’était pas requise en cas de dispense de recherche de reclassement.
Toutefois, la jurisprudence de certaines cours d’appel avait fait naître un doute (CA Bourges 19 novembre 2021 n° 21/00153), de même que la réticence de certaines inspections du travail à autoriser, en l’absence de consultation du CSE, le licenciement d’un salarié protégé alors même que l’avis d’inaptitude mentionne une dispense de recherche de reclassement.
L’arrêt de la Cour de Cassation du 8 juin 2022 clôt le débat par un attendu dénué d’ambiguïté : « […] lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel ».
Même si cet arrêt a été rendu à propos d’un licenciement prononcé avant la réforme des institutions représentatives du personnel par les ordonnances « Macron » (à une date à laquelle c’est la consultation des délégués du personnel qui était requise), rien ne justifierait que la position soit différente s’agissant de la consultation du CSE. En effet les articles L. 1226-2 et 1226-10 du code du travail sont restés rédigés à l’identique au moment du transfert de cette compétence au CSE.
Un point de vigilance toutefois : l’absence de consultation du CSE ne peut se justifier qu’en présence de l’une des deux mentions expresses dans l’avis du médecin du travail qui doivent être reproduites dans des termes strictement conformes à la loi, toute autre formulation ne permettant pas à l’employeur de se prévaloir de la dispense.
Par ailleurs, il reste à espérer que le Conseil d’Etat adopterait, en cas de contentieux, la même position pour le cas des salariés protégés.
(Cass. Soc. 8 juin 2022, n° 20-22.500)